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Tribune : « Le statut n’est pas un obstacle à la modernisation de la fonction publique »

Publié le 05/11/2018

Plutôt que d’introduire la rémunération à la performance, le gouvernement devrait valoriser l’implication des agents par un intéressement collectif, estiment un DRH et une syndicaliste dans une tribune au « Monde ».

LE MONDE ECONOMIE du 31.10.2018

 

Par Johan Theuret (pdt de l'Association des DRH des grandes collectivités territoriales) et Mylène Jacquot (secrétaire générale CFDT fonctions publiques)

Tribune. On parle à nouveau de réformer la fonction publique. Mais que veut-on y réformer et pourquoi doit-on la réformer ? S’agit-il de la moderniser pour qu’elle réponde aux nouveaux enjeux de notre société, ou s’agit-il de l’affaiblir au profit d’un nouveau modèle ?

Loin des postures caricaturales, nombre de fonctionnaires sont conscients des enjeux de transformation de leur univers professionnel et du besoin de les accompagner par une fonction publique moins lourde, peut-être moins bureaucratique, à coup sûr plus attentionnée.

Pour cela, un constat partagé émerge, celui de la nécessité de faire évoluer le statut. Ce dernier, tout en étant préservé, doit retrouver davantage de sens et d’opérationnalité au profit des agents et de leurs parcours professionnels et, « en même temps » dans l’intérêt des administrations dans lesquelles ils travaillent.

Nous observons que le statut, parfois jugé comme un frein au mouvement, est en réalité surtout un outil moderne de continuité des services publics, une protection contre la corruption et un garant de l’équité entre citoyens.

Pourtant, ces qualités ne doivent pas occulter le besoin de le moderniser. D’une part, parce que des lois et textes réglementaires successifs ont pu sédimenter des dispositions devenues peu compréhensibles, d’autre part, parce que le statut – auquel il faut ajouter les statuts particuliers – dissimule dans son fonctionnement de trop fortes inégalités entre agents. Enfin, du fait de cette complexité, on ne peut que déplorer les coûts de fonctionnement d’une gestion excessivement administrative des ressources humaines au détriment d’une réelle gestion des compétences et des parcours professionnels des agents.

Trouver des axes de modernisation

Soucieux de préserver le statut, nous pensons que des axes de modernisation peuvent être trouvés. La fonction publique doit impérativement s’ouvrir à la diversité de la société française. Cela oblige à faire évoluer ses conditions d’accès, sans pour autant remettre en cause l’existence même des concours. Ceux-ci doivent être moins académiques, et leur prédominance questionnée en ce qu’elle produit des discriminations.

Nous portons ainsi l’idée que le recours aux contractuels correspond à des besoins, s’il s’inscrit dans un cadre clairement règlementé et qu’il ne se substitue pas à l’emploi de titulaires. Cela exige aussi de la transparence dans la prévention des conflits d’intérêts et dans l’équité salariale par rapport aux titulaires.

Mettre en mouvement la fonction publique, c’est aussi encourager les possibilités de mobilité choisie inter-fonction publique. Trop souvent enfermés dans une logique et une linéarité de carrière, les fonctionnaires devraient bénéficier de davantage d’accompagnements pour construire leur parcours professionnel de manière éclairée.

La priorité devrait ainsi être donnée aux nombreux agents publics exposés à des risques professionnels et à des fatigues physiques prématurées du fait de la pénibilité de leur métier. Ces efforts d’accompagnement seraient très vite compensés par une diminution des absences qui caractérisent malheureusement ces métiers.

La complexité du traitement des fonctionnaires devient parfois un obstacle à leur motivation. Tenté d’introduire la rémunération à la performance, le gouvernement devrait plutôt réfléchir à la simplifier. Malgré les dernières réformes, les grilles indiciaires alliées à l’allongement des vies professionnelles ne correspondent plus à la réalité des métiers et à la hiérarchie des responsabilités. La multiplicité des primes et les écarts salariaux entre filières ont institutionnalisé des inégalités entre les femmes et les hommes qu’on ne peut tolérer dans une fonction publique républicaine.

Procédures fastidieuses

De même, de nombreux manageurs de proximité ont le sentiment de ne pouvoir réellement accomplir leur mission car ils ne peuvent pas agir sans recourir à des procédures fastidieuses.

Pour autant, faut-il instaurer une rémunération à la performance qu’on ne saurait définir ? Nous ne le pensons pas. Nous soutenons plutôt l’idée d’une rémunération qui valorise l’implication au travers d’un intéressement collectif. Tandis qu’on souhaite sortir des administrations bureaucratiques et des fonctionnements en silo, ne faut-il pas privilégier une rémunération qui responsabilise la dimension collective du travail et des projets ?

Une réforme de la fonction publique, porteuse de sens et d’ambitions, pourrait voir le jour en 2019 si le gouvernement ne résume plus ses intentions d’évolutions à de simples mesures comptables et budgétaires.

Personne ne trouvera de sens à une réforme qui n’évoque que le besoin de supprimer 120 000 postes de fonctionnaires. Nombreux sont en revanche ceux qui préfèrent identifier les vrais enjeux pour accompagner la numérisation de nos administrations, accroître la satisfaction des usagers, diminuer les coûts de fonctionnement et préserver les solidarités territoriales et sociales. Pour cela, la modernisation doit avoir un sens et un cap, et se construire dans le cadre d’un dialogue social de qualité avec l’ensemble des acteurs.